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Les personnalités artistiques

Les personnalités artistiques

Duilio Donzelli, Le sculpteur de Notre-Dame des Champs

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Photo « Donzelli travaille à la Madone »


Pas besoin d’être cinéphile pour connaître le nom de Valérie Donzelli, metteur en scène au talent original et actrice aussi à l’aise dans le drame que la comédie. Il se trouve que cette brillante personnalité n’est autre que l’arrière petite fille du sculpteur qui dota Saint-Vérand, en 1954, d’une Notre-Dame des Champs toujours vaillante sur le toit du village même si le grand air et les intempéries commencent à ronger sa belle pierre blanche.

Duilio Donzelli est né en 1882 à Fossombrone (Italie). Diplômé de l’Académie royale des arts à Urbino (lieu de naissance de Raphaël), il fut professeur à l’école des arts et métiers d’Esch sur Alzette au Luxembourg avant de migrer en France en 1919. Installé dans la région de Verdun il essaima dans la région une multitude de Monuments aux morts. Il fera de même dans la Drôme dans les années 40/50 avec ses Madones. C’est qu’en 1940, cet Italien anti Mussolinien, dont l’une des filles Dora fut honorée par la Résistance, est obligée de fuir devant l’invasion nazie. Il se réfugie à Valence avec sa famille et celle de son fils aîné Dante Donzelli, comme lui sculpteur et peintre. Tous deux œuvreront dans la région, parfois ensemble, parfois séparément, ce qui rend difficile souvent l’identification de leurs travaux (signés D Donzelli !).

C’est à Valence que le curé Jasserand qui rêvait de placer sa paroisse sous le patronage de Marie vint le chercher. Il est vrai que ses peintures dans les églises (entre autres) de Saint-Péray, Baix, Saint-Christophe et le Laris, et ses Madones géantes (l’une d’elles plus particulièrement significative : la Notre-Dame des Champs surplombant la vallée du Rhône à Chabeuil) avaient signé sa renommée dans la région.

C’est ainsi qu’il installa tout au sommet du Chatelard, dominant le village et visible à des lieux à la ronde, la plus touchante, la plus mystérieuse et la plus tendre des Vierges qu’on puisse imaginer. Œuvre monumentale, destinée à être contemplée à distance, sa Dame des Champs conserve pour qui l’approche son sourire évanescent, sa grâce mystérieuse, son aura d’être hors du commun.

Pendant des mois Duilio Donzelli fréquenta Saint-Vérand. Les blocs de la sculpture ont été dégrossis chez Albert Caillat, alors carrossier. Le sculpteur et le curé Jasserand firent des repérages nécessaires au Chatelard puis veillèrent à la mise en place, et la haute stature de ce beau septuagénaire italien dominait la foule qui assista à la bénédiction de la statue mise en place.

Saint-Vérand n’oublia qu’un détail : attribuer officiellement sa Dame des Champs au « Maître Duilio Donzelli » (formule du curé Jasserand).

Rédigé par Jacques Roux

Noël Caillat, L’homme image

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Photo « Noël Caillat : un regard distancié »


Noël Caillat est né en 1924 à Saint-Vérand, Isère, décédé en 2013 à Saint-Vérand, Isère. Entretemps il vécut dans un seul et unique monde : le monde des images.

Ce monde-là ne l’a pas abandonné : il est devenu sien pour l’éternité.

A Saint-Vérand, nul n’est prophète en son pays n’est-ce pas, on n’a pas tout de suite vu que Noël Caillat était né avec l’œil collé au viseur d’un appareil photographique. Ses « champs » ne renvoyaient qu’à l’espace d’un cliché, ou d’une séquence cinématographique, puisque chez lui appareil photo et caméra vivaient en concubinage : contre-champ, grand angle, plan rapproché, tels étaient les maîtres mots qui guidaient sa marche parmi les hommes et dans la nature. Il n’est pas certain que, jusqu’à l’arrivée dans nos campagnes du technicolor cinématographique et de la couleur dans les pellicules photo, il se soit aperçu que les prairies, les bois, le blé, le visage rosé des jeunes villageoises qu’il croisait, n’étaient pas en noir et blanc. Noël regardait, clic-clac, Noël photographiait et puis, comme le magicien cherchant l’ombre de la grotte pour protéger ses secrètes manipulations, il entrait dans son « laboratoire », chambre obscure bricolée par ses soins dans une bâtisse qui n’était certainement pas préparée à cet usage. Il y aurait à gloser sur l’obstination de ce tout jeune homme qui sans cri, sans drapeau, sans barrer la route à quiconque, s’est construit sa liberté d’homme et d’artiste, à l’écart de tout ce à quoi l’obligeaient la famille, la tradition, l’environnement rural… Et sans doute les sarcasmes bien intentionnés des « amis de la famille ».

Ce que Saint-Vérand doit à Noël Caillat ce sont des témoignages irremplaçables d’événements « sans importance » : des communions, des mariages, des pèlerinages, des voyages organisés, ces petits riens qui font la vie d’un village, qui lui façonnent une identité collective. Les années concernées sont cruciales : il s’agit du milieu du XXème siècle, quand la vie rurale bascule dans la modernité industrielle. Du coup, au-delà de la dimension mémorielle, les clichés deviennent des outils pour l’histoire, ils montrent concrètement ce qui arrive, ce qui disparaît. Chacun des tirages qu’on a pu préserver (presque tout a disparu), comme un imparable constat, nous met en présence d’un univers à jamais disparu : devant un modeste bistrot quelques tables avec des bancs, on plaisante à la bonne franquette, une noce pose sans chichi près d’une grange, une carriole à cheval traverse un village, les premières vespas, les jupes en corolle, une jeunesse bon enfant découvrant la mer, la ville, la vie…sous l’égide du curé. Gros doigts, bleu de travail, femme donnant à manger aux poules, communiante esseulée, visages fixant l’objectif comme si ce que disent certaines peuplades - qu’il va vous manger l’âme - était vrai.

Mais, et peut-être justement parce que Noël Caillat n’est jamais sorti du thème qui s’est imposé à lui dès sa naissance, Saint-Vérand, la vie à Saint-Vérand, les gens qui vivent à Saint-Vérand, les clichés qu’il laisse ont prétention à l’universel. Ce qu’ils fixent à jamais dans le cadre ce sont des lueurs qui illuminent une existence, des instants qui les paralysent, des ombres. Bientôt plus personne ne saura quel est le nom de la personne, du lieu-dit, personne ne saura où et dans quelle circonstance telle photo a été prise. Restera seulement, froid, méticuleux, le constat : ici fut un regard, ici une femme au sourire esquissé, ici un enfant seul dans une cour anonyme… Notre humanité prise au piège, petits papillons épinglés. Noël Caillat ne fait pas la chronique, il ne reconstitue pas des faits, des événements, il offre à la contemplation ce qu’il a lui-même contemplé, le vivre, le vivre dans sa nudité, sans la musique, les discours, les faux semblants. Les photographies de Noël Caillat sont l’illustration, pour parler comme Freud, de « l’inquiétante étrangeté » de l’existence humaine.

Rédigé par Jacques Roux

Armand Mante, Patoisant et poète… Tant de vies en une.

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Photo « Armand Mante chez les Patoisants »


Armand Mante est mort à Saint-Vérand en 2013. Il était alors une référence incontournable lorsqu’on abordait la question du patois local. Il est vrai que ce natif d’Izeron avait publié en 1982 un ouvrage, préfacé par Gaston Tuaillon, professeur à l’Université de Grenoble et autorité régionale en la matière : « Patois et vie en Dauphiné/Le parler rural d’Izeron » qui reste, à ce jour, la seule somme véritable consacrée à la langue parlée par les habitants d’un bassin de vie auquel Saint-Vérand appartient sans conteste. Personnalité discrète et attachante, Armand Mante ne refusait jamais son concours, que ce soit pour jouer une saynète patoisante ou pour participer à un débat sur la question des parlers d’autrefois.

Ce que la plupart de ceux qui l’approchaient ignoraient, c’est que son univers ne se limitait pas à la problématique linguistique. On savait plus ou moins qu’il adorait Georges Brassens, mais pas du tout qu’il avait été de nombreuses années Président du « Club Poésie et Chansons Georges Brassens » à Sète, ville natale du poète/chanteur, et qu’il avait, à ce titre, animé de nombreuses manifestations. On ignorait aussi qu’au moment de son décès il laissait, outre son ouvrage sur le parler d’Izeron, quatre autres ouvrages publiés dont un rassemblant plus d’une centaine d’écrits poétiques, « Rien que des oasis » (publié en 2001) que le Président de la Société des poètes français (Vital Heurtebise) avait tenu à accompagner d’une postface plus que laudative : « Avec Armand Mante nous ne manquons aucune occasion de nous sentir homme jusqu’à la démesure ».

Son livre « Le temps s’élève », paru en 1995, permet de reconstituer la vie d’adolescents confrontés à des temps autrement difficiles que ceux que nous traversons en 2020 : la période d’occupation nazie et la collaboration pétainiste des années 40. « Le chant des sources », publié en 2006 trace le bilan, à travers les destins croisés de quelques individus issus de la même source de vie, leur village, d’un siècle évanoui, le XXème, qui connut le plus pur des espoirs après le plus noir désespoir, avant de glisser doucement vers les vertiges individualistes que nous connaissons. En 2009 « Montchardon » est une étrange aventure : la rencontre de l’histoire d’un petit village, clos sur lui-même et ses problèmes de survie, d’isolement, de vieillissement, avec une philosophie venue d’ailleurs, le bouddhisme. Un livre dont on se doute que l’auteur aurait écrit la suite si la vie lui en avait laissé le temps.

A quoi il faudrait ajouter que la biographie même d’Armand Mante est construite comme un roman à tiroirs, avec des échappées vers l’Afrique : il enseigna en Tunisie, en Algérie, et ne cache jamais sa passion pour le désert. Il fut, avant d’enseigner et tout en enseignant, un animateur et un organisateur, permettant aux plus démunis (en Tunisie par exemple) comme aux plus isolés de s’intégrer à des activités collectives. Parmi lesquelles l’activité théâtrale, qui fut une de ses passions. Signalons à cette occasion qu’il consacra à Beckett un travail universitaire : on est loin (mais peut-être plus près qu’on aurait envie de le penser) des saynètes patoisantes. Il avait ses opinions politiques, lui qui fut ami de Mermaz et Poperen, et il s’engagea lorsqu’il lui sembla nécessaire. Sans ostentation jamais. Sans faire la leçon ni jamais mettre en avant son propre et si riche parcours. C’est pourquoi tant de ceux qui l’ont approché ont ignoré jusqu’à la fin ce que fut sa vie.

Tant de vies en une seule vie !

Rédigé par Jacques Roux